La Machine-Soleil

Confinement magnétique

par Charles Hirlimann

Bastien, doctorant en physique, fait une découverte inattendue qui bouleverse la conception des réacteurs de fusion et ouvre la voie à une énergie abondante et bon marché. Mais cette avancée menace des intérêts colossaux et déclenche une cascade d’enquêtes internationales. Des laboratoires européens aux arcanes politiques de Washington, l’étau se resserre. L’ombre d’un groupe d’écologistes radicaux surgit, prêt à tout pour imposer sa vision. Au cœur du jeu, Esther, veuve du directeur de thèse de Bastien, orchestre l’investigation et relie les acteurs dispersés, dévoilant un affrontement où science, pouvoir et idéologies se heurtent.

Extrait

Bastien pianote sur son smartphone ; le ZLeeb qu’il a commandé se trouve sur la carte à moins de 3 minutes… Le véhicule s’arrête le long du trottoir devant son hôtel, la porte s’ouvre. Il s’installe confortablement dans un espace large et clair débarrassé de tous les artefacts d’une voiture, pas de volant, de changement de vitesse, ni même de tableau de bord. Seule une tablette égaye de sa carte GPS l’avant du véhicule.

— Bonjour monsieur Giciel, bienvenue à bord ; dites-moi : souhaitez-vous toujours vous rendre au laboratoire des plasmas denses à Berkeley ?
— Oui, tout à fait. Bastien n’était pas familier de ce service de taxi autonome.
— Compte tenu de la circulation nous devrions atteindre Berkeley dans une petite demi-heure, susurre la voix féminine synthétique du véhicule. Souhaitez-vous que j’utilise la playlist de votre téléphone pour diffuser de la musique d’ambiance ?
— Non, non, je dois encore travailler la conférence que je vais donner.
— Comme vous voudrez.

La voiture s’insère dans le flot de la circulation et prend la direction du Bay Bridge, le pont qui traverse la baie de San Francisco vers Oakland.

*

Marcos, à califourchon sur sa moto, consulte la tablette fixée sur le guidon de l’engin. Elle lui indique l’état de la circulation dans un rayon de 3,6 km autour de l’entrée du Bay Bridge et, surtout, la position du taxi n° 57 de la société ZLeeb. Quand la situation affichée lui convient, il lance sa moto pour s’éloigner du lieu d’observation proche du pont. Il s’arrête à Sutro Heights Park, à l’ouest de la ville, rassuré par l’absence de caméras de surveillance dans ce parc. Il ne prend pas un instant pour profiter de la superbe vue sur l’océan Pacifique. Il surveille l’image sur sa tablette. Quelques minutes plus tard, jugeant la situation favorable, il hésite une fraction de seconde puis envoie un signal avec son smartphone à destination d’une machine distante, en espérant que son estimation des temps de latence soit correcte. Il se sent toujours militant radical du climat, mais il n’aime pas cette opération qu’il n’a pas choisie. Elle ressemble plus à une attaque antipersonnelle qu’à un attentat contre une société refusant de se réformer pour affronter le dérèglement climatique qu’elle a déclenché.

*

Assis devant son écran, tendu, Driss Laraouiche sursaute légèrement lorsque le signal de Marcos déclenche l’alerte. Autour de lui, chacun retient son souffle. L’atmosphère évoque, à une échelle réduite, le lancement d’une mission spatiale critique.

Chaque membre de l’équipe est rivé à son poste, exécutant la tâche qui lui a été assignée. Sur un grand écran, MarieCandice, telle un général sur un champ de bataille, surveille la position des véhicules piratés par le groupe quelques jours plus tôt. Tous ces engins connectés sont une aubaine pour des hackers : les protections sont dérisoires, et s’en emparer à distance relève presque du jeu. Ils n’ont eu que quelques jours pour installer le matériel high-tech envoyé par Marcos, se l’approprier et surtout établir un plan d’action précis pour mener l’attentat à bien. Mais un obstacle demeure : le temps de latence dans les communications radio. Il faut environ 30 millisecondes pour qu’une onde électromagnétique voyage entre San Francisco et leur salle de commande, et autant pour le retour. Ces 60 millisecondes d’écart suffiront-elles à tout faire échouer ?

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— Lancez la 3 ! La 17 aussi, vite, vite !

Driss s’exécute, envoyant une série de commandes aux ordinateurs de bord d’une Tesla autonome et d’une Google Car, qui s’engagent aussitôt sur le Bay Bridge en direction d’Oakland.

À ce signal, le logiciel d’attaque automatique, sous la surveillance de Funel, stoppe net plusieurs voitures contrôlées juste devant d’énormes camions, bloquant ainsi la circulation en aval du pont. Simultanément, il envoie des ordres aléatoires à tous les autres véhicules du secteur. Un silence tendu s’installe. Rien. Les visages se figent. Foutue latence.

Puis, soudain, le chaos éclate sur leurs écrans. Les caméras de surveillance piratées affichent un début d’incendie dans le tunnel menant à Treasure Island, l’île qui relie les deux tronçons du pont.

— Protection ! L’ordre de Marie-Candice claque comme un coup de fouet.

Ruth et Funel, déjà prêts, pianotent frénétiquement sur leurs claviers. En immobilisant plusieurs véhicules « zombies », ils transforment les extrémités du pont en un enchevêtrement de carcasses métalliques. Des embouteillages massifs se forment, érigeant des barricades qui bloquent l’arrivée des secours de part et d’autre du pont.

*

Cela fait déjà quelques années qu’Eric Miles règne sur l’industrie automobile. Le premier, il a compris qu’une voiture n’est rien d’autre qu’un objet connecté sur roues. Désormais, libérés de la conduite, les passagers peuvent se consacrer à leur véritable fonction : consommer. Offrir à chacun une illusion de liberté pour mieux masquer une aliénation de plus — un véritable tour de force. Sa flotte de taxis autonomes, la plus vaste au monde, avance lentement, inéluctable, comme une marée qui submerge le globe.

*

Son portable sur les genoux, Bastien s’efforce d’améliorer sa présentation pour la conférence qu’il doit donner au Laboratoire Lawrence Berkeley chez le professeur Miakruth. Tout est prêt, mais ajuster quelques transparents lui permet de garder un semblant de contrôle sur son stress. Et si je déplaçais cette diapositive plus tôt…

Soudain, un véhicule déboule à une vitesse fulgurante, frôle son taxi. Puis un autre. Les détecteurs de collision réagissent immédiatement : embardée brutale, perte totale de contrôle. Le choc est d’une violence inouïe. La voiture bascule…

À propos de l’auteur

Physicien spécialiste des lasers femtosecondes et des phénomènes ultrarapides, Charles Hirlimann a mené une carrière de recherche consacrée aux interactions lumière–matière. Passionné par l’écriture, il met aujourd’hui son expertise scientifique au service de récits qui interrogent nos choix énergétiques et climatiques.

Avec La Machine-Soleil, il mêle intrigue, pédagogie et regard de l’intérieur sur le monde de la recherche pour éclairer, à travers la fiction, les défis qui nous attendent.

Détails

Auteur : Charles Hirlimann

Genre : Techno-thriller

Disponibilité : impression à la demande et librairies en ligne.

ISBN : 9782955530313

Pages : 320